Les minutes semblent durer des heures. Il paraît que c’est normal. Qu’ici plus qu’ailleurs le temps se fige. Comme tout le monde, tu n’as jamais aimé ce genre d’endroit. À peine y mets-tu les pieds que tu espères déjà le quitter. Voilà pourtant plusieurs semaines que tu es ici. Incapable de bouger. Incapable de partir. T’en dors presque plus la nuit. Tu fais des aller-retour. Tu te relaies avec les parents de celle qui n’a pas dit un mot depuis deux semaines. Vous avez tous l’impression de devenir fous. L’impuissance vous rend dingue. Elle te rend presque plus dingue que tous les autres. Trois semaines que tu te refais le film. Que tu te demandes ce que tu as raté. Que tu te demandes ce que tu aurais pu faire autrement. Trois semaines que tu culpabilises. Trois semaines que tu te dis que ce soir-là t’aurais dû être avec elle. Trois semaines que tu te dis que peut-être tu aurais pu éviter tout ça. Trois semaines que tu n’arrives pas à te résoudre à l’idée que tu ne peux rien faire d’autre que d’attendre. Tu te souviens de ce jour-là comme si c’était hier. T’espères encore pouvoir te réveiller de ce cauchemar.


Trois semaines plus tôt ; dans un studio d’enregistrement de Busan ; 3 heures trente du matin

T’es à des milliers d’années lumière te t’imaginer ce qui se passe. Tu composes. Tu ris même avec les personnes présentent ce soir-là. T’entend pas ton portable sonner. Quel idée tu as eu de le mettre sur silencieux. Tu voulais que personne ne te dérange. Parce que c’est toujours comme ça quand tu es en studio. Tu te déconnectes de toute forme de civilisation. Tout ce qui compte alors ses tes doigts qui se pose sur les instruments, les notes qui en découle et les voix qui se pose sur la mélodie.

Studio d’enregistrement ; 5 heures et demie

C’est la première pause que vous vous accordez depuis que vous êtes entré en studio. T’allumes une clope et tu plaisantes avec certaines membres du groupe pour qui tu as écrit ce jour-là. Dans un coin de la pièce, on entend un cri de stupéfaction. On se retourne et le manager du groupe explique que la mannequin Byeol Ash a eu un grave accident et que son pronostic vital est engagé. Tu deviens livide. Tu crois d’abord à la fake news. A la blague de très mauvais goût. Alors tu sors ton téléphone portable et tu vois le nombre d’appels manqué. Une notification, un article qui titre la même chose. Tu te lèves, ne prends même pas la peine d’expliquer quoi que ce soit. T’appelles le numéro. On ne t’explique pas grand-chose on te donne un nom d’hôpital et on te demande de venir au plus vite.


En ce moment.

Et depuis. Depuis t’attends. Depuis t’espères. Tu te mets même à prier des Dieux auxquels tu ne crois pas. Tu serres sa main. On t’a dit qu’il fallait alors tu baragouines des trucs. Tu lui racontes tes journées. Mais y’a pas grand-chose à dire. Tu les passes ici à espérer qu’elle ouvre les yeux.  A force t’as même réussi à devenir ami avec la petite mamie de la chambre d’à côté. C’est même elle que tu vas voir quand tu sens que t’es sur le point de craquer, toi qui ne pleures pourtant jamais. Tu regardes l’heure. Il faudrait que tu manges quelque chose même si l’appétit n’est pas là. «  J’vais aller chercher quelque chose à grignoter, promis j’en ai par pour longtemps » Tu t’apprêtes à lâcher sa main quand tu sens une pression inhabituelle. Tu lèves les yeux vers elle et t’as bien l’impression de voir ses yeux s’ouvrir légèrement. Tu te rapproches alors de son visage. «  Ash ? C’est moi c’est Chuck ! » Tu t’accroches à sa main et tu sens les larmes te monter aux yeux.

gabi le loup

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L’homme est un drôle d’animal. Il passe du rire aux larmes, de l’optimisme au pessimisme et du bonheur au désespoir en un quart de seconde. Puis c’est toujours dans ces moments où tout devient grave, au l’espoir meurt avec les minutes qui passent qu’il finit par prendre conscience du caractère précieux de la vie. Soudainement on se met à regretter, on pense aux choses qu’on aurait dû dire et à celle qu’on aurait préféré pouvoir passer sous silence. Tu n’as pas échappé à la règle. La voir allongée sur ce lit t’a fait réfléchir et prendre conscience d’un certain nombre de choses. Un mois d’une vie ce n’est rien. Et c’est pourtant tellement dans de tels moments. Tu crois avoir compris un certain nombre de choses. Tu crois qu’il est temps d’arrêter de te cacher, d’arrêter de fuir parce que ta peur de souffrir et de ne jamais te relever. Tu crois qu’il est temps de dire aux gens que tu tiens à eux. Temps d’arrêter de jouer au cœur de pierre.  Temps de prendre ta vie en main. Temps d’être toi. Pleinement toi. Pleinement là. Là pour ceux que t’aimes. Elle s’accroche à tes mains et toute l’inquiétude accumulée se déverse à travers tes yeux. T’as jamais eu aussi peur. Qui l’aurait cru ? Personne. Parce que toi t’es rien d’autre qu’un mec détaché et dépourvu de sentiment. Tu serres un peu plus ses doigts autour des tiens «  Je bouge pas. Jamais » plus jamais. Tu resteras là. Tu l’aideras à se relever. Tu l’aideras à affronter le monde qui la fait tomber par terre. Tu viendras mettre un coup à tous ceux qui voudront essayer de lui faire du mal. T’es heureux et pourtant si inquiet. Tu regardes autour de toi, à la recherche d’un médecin ou d’une infirmière. T’as comme besoin de t’assurer que t’es pas en train de rêver et que tout ça est bien réel. Puis sa voix te ramène a la réalité elle te demande de ne pas prévenir ses parents. Toi tu te contente d’hocher la tête de haut en bas. «  Chut Ash, t’inquiète pas tout vas bien, tout ira bien » Tu ne sais pas si tu lui dis ça pour la rassurer ou pour te rassurer toi. Elle lève la main vers toi, tu l’attrapes et y dépose un baiser sans même réfléchir. «  Mais j’pleure pas » dis tu soudainement trop fier pour l’admettre avant de sourire et d’à ton tour venir chasser du bout de tes doigts une larme de ses yeux. «  J’ai eu tellement peur » Tu croyais pourtant être habitué, après tout Ivy t’en a fait voir de toute les couleurs. Seulement on s’habitue jamais à ça. Puis tout est arrivé tellement vite. Même les machines branchées à son corps te font encore flipper malgré tout ses semaines. T’as envie de la serrer dans tes bras, mais t’as peur de lui faire mal alors tu serres un peu plus sa main. « Merci »  A elle, au destin ou à tu ne sais pas trop croit  «  Merci d’avoir ouvert les yeux ».

gabi le loup

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On ne sait jamais ce qui peut bien se passer dans la tête des autres. On a beau vouloir. On a beau essayé on ne sait jamais véritablement qu’elles pensées peuvent bien traversées l’esprit de ceux et celles qui nous font face. Certains ne prennent pas vraiment le temps de s’y arrêter. D’autres cherchent par tous les moyens à accéder à cette inconnue et d’autres se rendent à l’évidence et composent : si on ne sait pas, on peut au moins essayer de comprendre. Voir à travers le prisme de l’autre. L’écouter. N’être parfois qu’une oreille. Pas même parler. Juste être là. Puis parfois prendre la parole et conseiller. Aller même jusqu’à jurer que tout ira bien alors que dans le fond on n’en sait rien. Mais comment fait-on quand tout semble aller mal ? Le bonheur de la voir ouvrir les yeux n’aura duré qu’un temps. Déjà il se teinte de l’inquiétude, l’inquiétude qui te replonge à ce soir sur cette plage. Ce même sentiment t’habite. Déjà tu voyais bien que quelque chose n’allait pas et que c’était sans doute bien plus profond que tout ce que tu pouvais bien imaginer. Pourtant aujourd’hui encore tu refuses presque de voir la vérité. Tu t’accroches à sa main en répétant inlassablement que «  ça va aller » c’est normal que tout ça soit difficile. Elle sort d’un fort choc émotionnel. Elle s’est peut-être vue morte. Vous même avez cru que vous alliez la perdre «  Tout ira bien maintenant » Une de tes mains se perd sur ses cheveux. Oui ça ira. Parce qu’il faut qu’elle s’en sorte. Qu’elle redevienne celle qu’elle était et qu’il est hors de question qu’elle se laisse sombrer. Tu ne la laisseras pas faire. Elle veut que tu viennes près d’elle. Tu t’exécutes sans même réfléchir. Tu te blottis près d’un corps qui te semble frêle. Si fragile qu’il pourrait se briser à la première attaque. «  Bien sûr que je le sais. Moi aussi je t’aime Ash » Plus de doute là dessus. Les heures d’agonies passées à attendre qu’elle ouvre les yeux t’ont fait prendre conscience de toute l’affection que tu as pour elle.  Tu sais que tout ça n’a rien de bon. Qu’elle ne te dit pas ces mots-là pour rien. Tu le sais et pourtant tu n’es pas préparé alors qu’elle t’avoue ne plus avoir goût à la vie. Tu secoues la tête de gauche à droite en signe de désaccord. «  Tu dis ça parce que t’es fatiguée Ash mais tu verras ça ira mieux demain et encore mieux après demain »  Tu te mens à toi-même, tu fermes les yeux devant la vérité qu’elle essaie de te montrer. C’est pas qu’une histoire de jour. Ça traîne depuis trop longtemps. «  Et je serais là. Je vais t’aider. Je serais toujours là, t’entends ? Toujours »  Oui. Tu seras là. Tu te fiches bien de savoir si cette place est légitime, tu la prendras de toute façon.

gabi le loup

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Lui pardonner ? Mais lui pardonner quoi exactement ? Ça t’échappe. Parce que malgré les mots tout juste prononcés tu ne peux te résoudre à lui en vouloir. Tu serres un peu plus son épaule de ta main. «  Je te pardonne » que tu prononces presque dans un murmure. Oui si c’est ce qu’elle veut entendre tu lui donneras les pardons souhaités. Tu lui donneras tout ce qu’elle peut bien désirer avoir.  La date du jour ? Il te semble avoir perdu la notion du temps depuis qu’elle est allongée sur ce lit alors tu jettes un coup d’oeil furtif sur ta montre. «  Le 18 février ». Soit quatre jours après la fameuse fête des amoureux.  Seulement tu ne sens pas chez elle le bonheur accompagnant cette période. Non tu ne vois que du mal-être. Le mal-être. En voilà une drôle de maladie. Une bien laide conséquence d’un amour meurtrie. On ne cesse de nous vanter les louanges de l’amour. De nous dire que c’est beau. Qu’il n’y a rien de plus magique, rien de plus envoûtant.  Mais on omet bien souvent de nous raconter ces histoires-là. Celle qui ne se termine pas par et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Oh non c’est histoire là on se garde bien de les taire. Parce qu’elle viendrait noircir la si belle image qu’on se fait du sentiment amoureux. Toi pourtant tu n’as jamais pu t’empêcher de penser à ça. Comme si depuis le début tu t’attendais à ce que ça te tombe dessus. Comme si tu ne pouvais pas échapper à cette fatalité-là. Mais Ash, Ash c’est une autre histoire. Elle aurait dû connaître une histoire de princesse. Elle aurait dû échapper à ces histoires de mariage arrangé. Elle aurait dû connaître la flamme éternelle. Tu te mords la lèvre. Perdu dans ce soudain flot d’informations. Bien sûr que t’as entendu parler de ce mariage. Ces dernières semaines ses parents n’ont cessé de l’évoquer. Sa mère principalement, prise de remord et passant ses jours à pleurer en se remémorant que le dernier échange en date avec sa fille n’a été que cri et reproche. Tu l’écoutes. Sans forcément savoir quoi dire. T’aimerais pouvoir lui promettre qu’il reviendra. Que s’ils sont véritablement faits l’un pour l’autre ils se retrouveront. Mais tu n’en sais rien. Alors tu la serres un peu plus contre toi. «  Oublie tout ça Ash. T’as pas besoin d’eux. » T’aimerais tellement que ce soit vrai. Tellement pouvoir suffire. Toi. Toi qui est là. Toi qui ne bougeras jamais. Toi qui n’émettras jamais le moindre jugement.  Vos yeux se croisent. «  Qu’est-ce que c’est Ash ? » Oui qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que tu peux faire pour l’aider à aller mieux ? «  J’bouge pas. Jamais. Je te le jure »

gabi le loup

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Tu hoches la tête alors qu’elle dit ne pas avoir le courage de les affronter. Ils ne comprendront probablement pas, mais toi tu te fiches bien de savoir ce qu’ils pourront dire. Tu feras barrage si c’est vraiment ce qu’elle veut. «  T’inquiètes pas Ash » oui qu’elle ne s’inquiète pas. C’est là la chose qui  te préoccupe le plus. T’aimerais chasser du revers de ta main toutes les pensées envahissantes qui semblent venir se bousculer dans son esprit. Une fugitive en fuite. C’est drôle t’as aucun mal à te reconnaître dans ses paroles. Toutes ses semaines passées à espérer qu’elle ouvre les yeux t’ont fait réaliser un nombre incalculable de choses concernant ton propre mode de vie. C’est même apparu comme une évidence. Tu fuis tout ce qui pourrait te rendre heureux puis malheureux. Tu crois pouvoir mener une vie plus facile comme ça. Comme si éviter tout sentiment était de l’ordre du possible. C’est tellement évident aujourd’hui, bien sûr que ça ne pouvait pas marcher. C’est pour ça que plus que personne t’as le sentiment d’être bien placé pour lui faire savoir qu’on ne peut pas vivre sans aimer et prendre le risque de perdre ceux à qui on tient. «  T’as pu besoin de courir Ash, plus besoin de fuir non plus » Comme ta façon de lui dire que tu seras son refuge. Le temps qu’il faudra. Le temps qu’elle se remette sur pied et peut-être même plus encore.  Tu te redresses pour lui faire face. Et tu poses ta main sur sa bouche. « Arrête Ash. T’es tout sauf une mauvaise personne » Non tu peux pas lui laisser dire des choses comme ça. Elle a peut être fait des erreurs et alors ? Qui n’en fait pas ? Elle poursuit et ton cœur se serre. Tu détestes l’idée même de la voir comme ça. «  Hors de question je ne bougerai pas d’ici » Tu te mets à avoir peur. Peur qu’elle fasse une connerie. Peur de la perdre alors que tu viens de la retrouver. Tu sèches du bout de tes doigts les larmes qui coule sur ses joues «  J’me fiche pas mal que ce soit ton talent numéro 1. J’suis de toute façon pas doué pour le bonheur. Alors, mets-toi ça en tête : je ne partirais nulle part sans toi »

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